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" SI JE SUIS UN SOT, ON ME TOLERE ; SI J'AI RAISON, ON M'INJURIE. " Goethe.

jeudi 13 juin 2013

Contes et légendes du Mor Braz occidental (2)


Les grimoires et le chaudron infernal.


Dans une tranquille petite bourgade du Mor Braz occidental, éloignée de tout et où le soleil ne brillait que très exceptionnellement, vivaient, il y a des siècles et des siècles et encore un peu plus que cela, une communauté de lutins, lutins qu’il ne faut en aucun cas confondre avec des nains car ils sont bien plus espiègles, plus rieurs, plus facétieux et surtout beaucoup plus boudeurs.
Ces lutins marins avaient un grand cœur et ils voulaient que tout le petit peuple des elfes, des nains et autres gnomes qui habitaient au-delà de l’endroit où la terre se rétrécit puissent profiter de la douceur de vivre de leur village. Après avoir parlé et parlé encore et encore voire carrément palabrer tous ensemble sur la place du bourg, leur chef, qui était une Fée qui répondait au nom étrange de Madamjai décida qu’il fallait acheter moults telts et bien plus que moults pour recevoir dignement leurs visiteurs qui, juchés sur d’antiques chars, charrettes, charrois, carrioles, haquets et tombereaux tirés par des licornes à poils laineux, venaient déjà passer quelques jours au bord de l’océan pour tenter de se faire bronzer. Il est à remarquer qu’à cette époque reculée, tous les véhicules qui circulaient de par les routes et chemins étaient construits loin, très loin, du Mor Braz occidental.
La Fée Madamjai rajouta qu’il fallait aussi trouver un druide supplémentaire qui parlait la langue des elfes, des nains et des gnomes qui, comme chacun le sait, n’est pas la même que celle des lutins.
Mais hélas, le village était pauvre car le Père Fanch, que les autres lutins appelaient aussi le lutin constructeur, avait dépensé tous les fifrelins, brouzouffes et autres doublezons de la petite communauté aidé en cela par une lutine appelée Katell qui, dans une grotte sombre, entassait de vieux grimoires qu’elle achetait à prix d’or dans toutes les foires et kermesses du Mor Braz occidental et qu’elle obligeait les autres lutins du village à lire et à relire jusqu’à l’épuisement.
La Fée Madamjai, qui, comme toute les fées, savait faire des miracles, expliqua aux lutins qu’il suffisait qu’elle signe un parchemin magique qu’elle appelait skoazell et dont elle avait force de réserve dans les replis de sa longue houppelande pour que l’argent pleuve sur le village. Un lutin grognon essaya bien de dire qu’à force de signer des skoazells en veux-tu en voila, le méchant lutin scribe nommé Tad Foeter qui surveillait tout cela assis sur un menhir à Karnac allait exiger plus d’os de morgates qu’à l’accoutumée car en ces temps reculés et fiscalement bénis, cher lecteur, la gabelle, la dîme, le cens, les aides, les maitrises et les jurandes étaient acquittés annuellement en os de seiches.
Le lutin grognon fut rapidement réduit au silence et la Fée Madamjai confia à Yann, le constructeur de pont anglais venu d’au-delà l’endroit où la terre se rétrécit, la mission de planter les telts dans un coin de bord de mer ou nichaient des courlis.
Mais près des nids de ces volatiles se trouvait la grotte dans laquelle habitait Poulpiquet l’ombrageux  korrigan disciple inconditionnel de Goibhniu le dieu du feu et des forges. Poulpiquet se nourrissait uniquement de cumumis sativus ce qui lui donnait un teint verdâtre et une halitose telle qu’aucun lutin du village ne voulait discuter avec lui.
Cet affreux korrigan ne voulait pas de toutes ces telts pleines d’elfes et autres créatures stupides à côté de sa caverne. Leur babillage incessant allait ralentir la réalisation d’un de ses grands projets : la construction d’un immense chaudron à l’entrée du village. Dans cette énorme marmite de plusieurs millions de muids Poulpiquet  voulait précipiter des tonneaux et des tonneaux de méduses bien grasses et fraiches. Une fois chauffées, macérées, fermentées, broyées, malaxées, elles seraient réduites en petites briquettes qui permettraient, selon lui, aux lutins de se chauffer, de cuire leur pitance, de remplacer leurs bougies crachotantes qui éclairaient si mal et même, par un mystérieux procédé que Poulpiquet avait baptisé Neudenn, de se substituer à tous les vieux bouquins humides de Katell. D’ailleurs, grâce à ce projet dantesque, Poulpiquet pensait que ces crétins de lutins, enfin reconnaissants, le nommerait chef de leur village à la place de la Fée Madamjai à qui il vouait une haine aussi féroce qu’inextinguible.  

Mais les lutins, loin d’être des crétins, étaient très interrogatifs voire dubitatifs et se grattaient les tifs.  Le chaudron nécessitait un feu d’enfer pour fonctionner correctement et une fois ce feu lancé, impossible de l’arrêter avant la naissance des petits enfants des petits enfants des enfants des lutins les plus jeunes.  Ils refusèrent tout de go. Poulpiquet se fâcha alors tout rouge ce qui le fit devenir tout noir car, comme chacun le sait, quand vous mélangez du vert avec du rouge, vous obtenez du noir et il traita les lutins des noms les plus affreux qu’il connaissait et qu’il est impossible de relater ici tant ils sont affreux. Il menaça même d’aller voir le chef du village voisin Yann Ar Veloioù ainsi nommé car il ne se déplaçait que sur un étrange engin dont les deux roues étaient découpées dans  les douelles d’un tonneau de chêne reliées entre-elles par un bizarre ordonnancement de ferronnerie.
Mais rien n’y fit. Les lutins refusèrent la construction de cette porte de l’enfer dans leur petit village.
Ivre de rage et vexé comme un paon, Poulpiquet, sous les lazzis et les quolibets de Bécassine (dont je juge encore nécessaire de rappeler que c’est ma cousine), du Père Fanch, de Yann le constructeur de ponts anglais, de Katell, de la Fée Madamjai et bien autres encore, enfourcha le premier congre qui passait par là et disparu pour toujours dans l’océan.
Il se dit que parfois, plus méchant que jamais, aux nuits sans lune de grandes marées, il revient cracher ses horreurs au large d’un lieu que les lutins ont baptisé l’Euhenvée. Mais il ne s’agit là que de calembredaines que les lutins racontent à leurs enfants quand ils ne sont pas sages. 

Petite aide à la traduction : Dico Breton.

3 commentaires:

Jules- Edouard a dit…

Il me semblait que les lutins, l'avaient aussi baptisé azen gornek

Ici Radio Kerhostin a dit…

Cher Jules-Edouard,
Je reconnais bien là votre érudition quant à tout ce qui touche à l'histoire du Mor Braz occidental.
Mille mercis de cette importante précision et comme à l'accoutumée, je vous adresse mes respects les plus profonds ainsi qu'à Mikeule Keule.

Anonyme a dit…

Nous attendons le tome 3, car Poulpiquet
chevauchant le congre fut happé par le
homard géant aux grosses pinces qui le
découpèrent en morceaux conservés dans
du vinaigre de bocaux de cornichons.
Ainsi Poulpiquet pourra être ressucité
d'un coup de baguette magique.
Mais dur dur pour la langue bretonne,
d'autant plus qu'à St-Pierre, peu de
personnes le parlent !
Merci pour les lutins qui doivent danser
les nuits de pleine lune sur la lande de l'Heuhenvée.
F. DASSIER.